« La dernière fête » les mémoires de Gil Scott-Heron

Couverture. Source : site des éditions de l’Olivier

« Comme j’ai passé toute ma vie aux États-Unis, j’ai trop souvent vu des événements délibérément déformés, trop de moments de notre histoire et de notre vie présentés de façon tendancieuse pour avoir la force de les rectifier ou de les battre en brèche. Tout ce que je peux dire, c’est que si la vérité compte à nos yeux, comprenons que tout ce qui a de la valeur se mérite, doit être creusé, pensé, amené au terme d’un effort digne du bénéfice immense que cela apporte à notre vie.

Le prix à payer sera élevé. Le temps et la sueur investis dans cette quête nous coûteront en heures et en jours au détriment d’autres activités. Nous coûteront en relations qu’il faudra entretenir avec des personnes qui ne supporteront pas d’être négligées. Pour cela aussi, il faudra sacrifier tout le reste. La passion avec laquelle on s’engage dans quelque chose d’intangible nous privera du soutien même dont nous aurions tant besoin.

Ce qu’il nous faut, c’est un soutien qui dépasse la compréhension. Il y a des turbulences à chaque étape avec ceux qu’on essaie d’atteindre, ceux qui nous évitent parce qu’on ne cherche pas à se faire comprendre. Notre seul espoir de faire perdurer la solidarité au delà de la compréhension, c’est la confiance. Tout ceux qui déclarent nous aimer savent qu’ils ne peuvent comprendre tout ce dont nous avons besoin, c’est là que la confiance est nécessaire pour nous mener au bout du chemin. La vérité pour laquelle on veut écrire, chanter, qu’on veut faire sentir aux autres, on ne la poursuit pas parce qu’on l’a vue, mais parce que les Esprits nous ont dit qu’elle était là. »

Extrait de La dernière fête, mémoires de Gil Scott-Heron, traduit de l’anglais par Stéphane Roques, éditions de l’Olivier, 2014. Le site de l’éditeur français.

« Dieu n’existe pas et Brian Wilson est son fils » Lou Reed

« Pendant toutes ces années, il y avait ces groupes de rock magnifiques qui pépiaient et gazouillaient comme des moineaux sous hypnose, et si on n’était pas déjà mort, on en devenait dingue, parce que c’était maintenant que ça se passait et que personne n’avait écrit un bon livre ou fait un bon film, juste de la merde, encore et encore. La seule poésie du siècle digne de ce nom, c’était la poésie qu’on entendait dans les albums de rock. Tout le monde savait ça. […]

Décerner un prix de poésie quel qu’il soit est obscène. Tout comme se soucier d’Ezra Pound. Et des collections de poésie de Yale. Les facs sont faites pour tuer. Elles ont quatre an pour vous tuer. Et si vous ne vous y attardez pas, alors le service militaire, qui a été fait par et pour les vieux, est là, lui, pour vous tuer. Pour tuer vos instincts, votre amour, la musique. La musique est la seule chose vivante et bien en vie. N’appelez sous les drapeaux que les gens de plus de quarante ans. C’est leur guerre, laissez-les s’entre-tuer. […]

La seule poésie de ces vingt dernières années, c’est celle qu’on entend à la radio. Il faut détruire les facs. Elles sont dangereuses. Les cours pour amateurs de musique. La poésie métaphysique. La théologie. Les sondages de Playboy Jazz. Les partiels. Les dissertations. Les tests psychologiques. Les médecins qui essaient de « guérir » les toxicos, alors qu’ils se goinfrent de pilules. Se laisser emporter par la musique. C’est la musique qui nous a permis d’en sortir indemnes. C’est la musique qui nous a empêchés de devenir dingues. La musique des gens. C’est la musique qui passe à la radio. On devrait avoir deux radios. Au cas où il y en a une qui tombe en panne. La musique en concert est mauvaise ces temps-ci parce que les disques sont mieux. La vie dans une baffle.

Le rock’n’roll a englouti toutes les influences. Mieux vaut les musiciens blues que la musique folk blues. Mieux vaut la musique électronique que les musiciens électroniques (c’est-à-dire les Who d’Angleterre et le Velvet Underground de New York). La musique classique est si simple. Franchement, n’importe qui peut en écrire. N’importe qui. C’est une étape, comme quand un bébé fait ses dents. Imaginez le son qu’on obtiendrait si on branchait un micro sur le cordon ombilical d’un nouveau-né. […]

Comment peut-on décerner un prix de poésie. C’est une blague. Qu’est-ce qu’on fait de ceux qui sont EXCELLENTS […]. Aucune instance ne sera donc capable de reconnaître ce que Brian Wilson a fait avec LES ACCORDS ? Et tous ces gens qui ont dit que le travail de Phil Spector était une aberration, le jour où il a sorti le meilleur morceau jamais produit, « You’ve Lost That Lovin’ Feelin' ». […] Dieu  n’existe pas et Brian Wilson est son fils. Brian Wilson ressuscite les accords, en s’inspirant judicieusement de tout… » Lou Reed, 1966.

Extrait de l’article La vie chez les Poobahs écrit par Lou Reed, traduit en français puis repris dans la monographie The Velvet Underground, un mythe new-yorkais (éd. Rizzoli, 2009). Article publié une première fois en 1966 dans le n°3 de la revue Aspen dans son titre original Life among the Poobahs (texte intégral et en anglais disponible ici).

Serge Pey / « QÀU »

« QUAND UNE SALLE

L’APPLAUDISSAIT

COLTRANE

PENSAIT QU’IL N’ETAIT

PAS ALLE ENCORE ASSEZ LOIN

DANS LE RENVERSEMENT

DE SA MUSIQUE »

Extrait de QÀU, Ne sois pas un poète sois un corbeau nous sommes une poignée de corbeaux sur la Terre, Serge Pey, Dernier Télégramme, 2009

Derniers achats / futures lectures

Je suis revenu du salon « Les beaux jours de la petite édition » à Cadenet (qui avait lieu ce week-end) avec tout ça

mes achats à Cadenet

Une belle pile de livres à ranger sur mon actuelle pile des livres en cours ou qui m’attendent à savoir la bio d’Ezra Pound et le Comment lire de ce dernier, La Dernière fête de Gil Scott-Heron, le Tais-toi ou meurs de Mark Oliver Everett (le chanteur de Eels), Rap indépendant de Sylvain Berthot, Pimp de Iceberg Slim, le dernier numéro de la revue Ouste, celui de la revue Muscle, aux dernières ficelles, il doit aussi y avoir un Christian Bobin et un Kateb Yacine qui se baladent là-dedans, mon Dieu quand aurais-je le temps de relire Septentrion ?

Steven Cohen – extrait d’interview

« J’étais devenu un membre parmi d’autres de la couche moyenne du milieu de la danse : un désastre. Sans doute me faut-il envisager de quitter la France à présent. Ici, faire de l’art est devenu mon métier, et a cessé de signifier un risque, de faire aventure. »

Steven Cohen, performer sud-africain, Mouvement n°73 mars-avril 2014.

« d’origine » de Grégoire Damon aux éditions Le pédalo ivre

D’origine, le nouveau livre de Grégoire Damon vient de paraître aux éditions Le pédalo ivre. Plusieurs poèmes m’ont touché. Beaucoup de ses lignes me parlent… J’ai eu du mal à en choisir un extrait sans spoiler. Par exemple, ça, ça me plaît beaucoup :

Un extrait du poème « Awards »

le vide il y en a que ça terrifie
quand ils en trouvent dans le jardin ils le remplissent d’eau et ça fait une piscine
ils invitent les voisins à prendre des photos
pas nous

nous
nous sommes bons
à rien
très bons même
excellents
primés dans tous les festivals
au salon international
de la déprime saisonnière
nous sommes pour la soirée
solaires
habillés maquillés coiffés personnellement
sur tous les tapis rouges par tous les Lagerfeld
car on va nous remettre le prix
cette année encore nous avons été les meilleurs
à que dalle
à rien
[…]

d’origine se commande ici.
Un premier article élogieux sur Poebzine.
Le blog de Grégoire Damon.

ACHETEZ LA POÉSIE DES VIVANTS.

Dan Fante « IRAK » (poème)

Dédicace de Dan Fante. Merci à Adélaïde pour l'attention.
Ma petite dédicace de Dan Fante… (demandée pour moi par Adélaïde)

IRAK

 

Ce matin

cap sur un nouveau job

de démarchage par téléphone

– j’ai surplombé Topanga Canyon

en bagnole

et les nuages formaient une nappe de coton blanc

contre la chemise de travail bleue poivron du grand Jésus

 

Comme le brouillard se levait

je me suis éloigné de la côte

et enfoncé dans les collines

J’ai avalé mon café

puis éteint la radio

pour varier les plaisirs

 

Apparemment

notre inénarrable Georges a décidé que ça commençait à bien faire

et que le moment était venu pour ces mecs coiffés de serpillières

de se muer en une vaste flaque de pétrole unilatéral dans le désert

 

et moi

toujours fier d’être américain

je me dis

hé tout va bien

 

J’inspire et j’expire – ici et maintenant

je suis un homme blanc

libre

et j’ai vingt et un ans

c’est ça

et

ma précieuse sécurité nationale est préservée

par un monsieur à la voix douce persuadé que faire cramer

quelques centaines de milliers de bébés

c’est pas cher payé pour un indice de popularité de 58%

ça

On ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs – pas vrai ?

 

Alors merci Georges de Beuliou pour ta vision d’une singulière

radicale

impeccablement inimaginable

stupidité

 

Et

au fait

 

quand ton programme chargé

à la Sécurité Nationale tout ça

te laissera une seconde

 

SUCE-MOI

 

Dan Fante, Bons baisers de la grosse barmaid, 13e Note éditions, 2009.