« Demande à la poussière » John Fante

demande à la poussière

Mon passage préféré du livre :

« Je les vois tituber à la sortie de leurs palais du cinéma, même qu’ensuite ils clignent leurs yeux vides pour affronter de nouveau la réalité ; ils rentrent chez eux encore tout hébétés et ils lisent le Times pour voir ce qui se passe dans le monde. J’ai vomi à lire leurs journaux, j’ai lu leur littérature, observé leur leurs coutumes, mangé leur nourriture, désiré leurs femmes, visité leurs musées. Mais je suis pauvre et mon nom se termine par une voyelle, alors ils me haïssent, moi et mon père et le père de mon père, et ils n’aimeraient rien tant que de me faire la peau et m’humilier encore, mais à présent ils sont vieux, en train de crever au soleil au milieu de la rue, en pleine chaleur, en pleine poussière, tandis que moi je suis jeune, plein d’espoir et d’amour pour mon pays et mon époque ; alors quand je te traite de métèque ce n’est pas mon cœur qui parle mais cette vieille blessure qui m’élance encore, et j’ai honte de cette chose terrible que je t’ai faite, tu peux pas savoir. »

Demande à la poussière, John Fante, 1939, 1980.
Traduit de l’américain par Philippe Garnier, Christian Bourgois éditeur, 1986.

Maram al-Masri « Elle va nue, la liberté »

Deux extraits de ce livre utile et beau :

2

Une femme se plaint devant le sultan ;

ses soldats ont volé son bétail

pendant son sommeil.

Le sultan lui dit :

Vous devez garder vos troupeaux

et ne pas dormir.

Elle lui répond :

J’ai pensé que vous veilliez sur nous, altesse…

Alors j’ai dormi.

5

L’avez-vous vu ?

Il portait son enfant dans ses bras

et il avançait d’un pas magistral

la tête haute, le dos droit…

Comme l’enfant aurait été heureux et fier

d’être ainsi porté dans les bras de son père…

Si seulement il avait été

vivant.

Maram al-Masri, Elle va nue, la liberté, Éditions Bruno Doucey, 2013.

Aimé Césaire « nouvelle bonté »

nouvelle bonté Wifredo Lam collection privée © ADAGP, Paris 2011 / © collection privée

 

il n’est pas question de livrer le monde aux assassins
d’aube

la vie-mort
la mort-vie

les souffleteurs de crépuscule
les routes pendent à leur cou d’écorcheurs
comme des chaussures trop neuves
il ne peut s’agir de déroute
seuls les panneaux ont été de nuit escamotés
pour le reste
des chevaux qui n’ont laissé sur le sol
que leurs empreintes furieuses
des mufles braqués de sang lapé
le dégainement des couteaux de justice
et des cornes inspirées
des oiseaux vampires tout bec allumé
se jouant des apparences
mais aussi des seins qui allaitent des rivières
et les calebasses douces au creux des mains d’offrande

une nouvelle bonté ne cesse de croître à l’horizon

_ _

Poème écrit à partir du tableau nouvelle bonté de Wifredo Lam, extrait de Moi, laminaire…

Jean-Pierre Georges – « Je m’ennuie sur Terre »

Je surfe sur la vague Jean-Pierre Georges qui sévit depuis quelques temps sur la blogosphère de mes colocataires. D’abord, quelques articles du poète Frédérick Houdaer, qui m’a fait découvrir Jean-Pierre Georges devant un stand Gros Textes en juillet dernier, puis plus récemment un poème de Thomas Vinau où il  évoque le Monsieur.

A mon tour de mettre en lumière deux vers tirés de son livre Je m’ennuie sur Terre, édité par le Dé Bleu en 1996, véritable révélation pour le jeune lecteur que je suis.

« Pourquoi j’écris parce que je ne
connais pas mon bonheur »

Charles Bukowski – Shakespeare n’a jamais fait ça

J’avais fait beaucoup de lectures, d’abord dans des librairies, puis des universités, puis des boîtes de nuit, ça payait le loyer quand j’en avais vraiment besoin. Le public préférait un certain type de poésie dans ces endroits-là, surtout dans les boîtes de nuit, où j’étais en compétition avec les groupes de rock. Les gens voulaient des poèmes qui les fassent marrer. Le proprio d’une boîte située près de la côte n’arrêtait pas de me téléphoner : « Écoute, tu fais venir chez moi plus de monde que les groupe de rock. Je veux te mettre à l’affiche tous les jeudis, vendredis et samedis soir. » Un détail lui échappait : chaque fois qu’on réécoute une chanson, elle a des chances de s’améliorer, mais chaque fois qu’on réécoute un poème, il ne fait qu’empirer.

Charles Bukowski, Shakespeare n’a jamais fait ça, traduction par Patrice Carrer et Alexandre Thiltges, 13e Note éditions, 2012. Édition originale chez City Lights Book, 1979.

Antoine Émaz « Un si long silence »

« Arrêter ? Écrire un poème, c’est commencer, toujours. Donc on n’arrête pas, simplement on ne commence plus. Et ce n’est pas désert mental, dépression sablonneuse, non. Simplement vivre n’accroche plus les mots. Vivre va, les mots vont, mais ça ne s’articule plus.

Avant, le poème allait de soi, quand il allait. Il ne va plus. On doit faire avec cette donne ; la jouer n’est pas le plus difficile ; l’ennui, c’est le temps, la peau de chagrin. »

*

« Pas plus d’angoisse de la page blanche que de désir qu’elle se noircisse. Je commence même à pouvoir avouer cet état, sans trop de honte, sans vanité non plus. C’est. Nul besoin de compassion. C’est. »

*

« Tu n’as rien à dire, soit. Mais tu dis que tu n’as rien à dire. Donc tu n’es pas vaincu. »

Antoine Émaz, 3 extraits de « Un si long silence » publié dans D’écrire j’arrête, supplément de la revue Triages 2012 aux éditions Tarabuste.

Rap, Hip Hop 30 années en 150 albums de Kurtis Blow à Odd Future – Sylvain Bertot

Extrait de la page 290 consacrée à l’album Know Future (2000) des Shapeshifters.

« Vous vous souvenez de vos premiers émois d’adolescents ? Quand vous découvriez des musiques que votre mère et les nases de la classe ne comprenaient pas, pendant que vous, sincèrement,  vous adoriez ? Vous vous rappelez de la griserie que vous avez alors ressentie ? Et bien avec Know Future, ça recommençait, c’était pareil. Sauf qu’avec ce disque, ce n’était plus seulement vos parents et vos camarades de classe qui faisaient la tête. C’était vos voisins, c’était vos gosses, c’était les puristes hip hop et les rockeurs snobs qui ont découvert le rap dans Wire, tous ces gens influençables et écrasés sous le poids des conventions, quoique persuadés du contraire, et qui se montraient incapables d’observer les choses depuis la planète Mars, comme les Shapeshifters prétendaient le faire sur cet album improbable qu’il était impossible d’éccouter d’une seule traite, mais qu’il était inimaginable de goûter autrement que de bout en bout. »

Sylvain Bertot, Rap, Hip Hop 30 années en 150 albums de Kurtis Blow à Odd Future, éditions Le mot et le reste, 2012.

Ecouter deux extraits de Know Future des Shapeshifters : MAN2APE2FISH (FEAT. SOLE­, SIXTOO, BUCK65 & RAS HEBREW) et AREA 52.

Le blog musical de l’auteur : Fake for real.