Maxime Actis « Ce sont des apostilles »

« SDC_1074.jpg
grande chambre éclairée
j’ai pris la photographie tout près du visage
le visage est pris dans la main
le flash s’active aléatoirement
ce sont des tests
sachant que tu ne serais pas prise tu danses et j’essaye la lumière je ne veux rien capturer, mais maintenant ici, là, j’ai tout : c’est flou
il y a une porte noire et cette distance entre l’appareil et toi
il y a nous et nous deux il y a nouer
on ne sais pas plus
ces mouvements c’est un lyrisme pauvre
il va vers toi
il représente mal »

Extrait de Ce sont des apostilles de Maxime Actis aux jeunes éditions série discrète, 2016, 9€, le mec n’a pas trente ans ou presque, virgule, il est membre du collectif Bêta, le genre de phrase qu’on n’a pas envie de finir mais il le faut, à lire, point.

Tomas Tranströmer – Det Vilda Torget

 

Jpeg

« Parfois il existe un abîme entre le mardi et le mercredi, mais vingt-six ans peuvent défiler en un instant. Le temps n’est pas une distance en ligne droite, mais plutôt un labyrinthe, et quand on s’appuie au mur, au bon endroit, on peut entendre des pas précipités et des voix, on peut s’entendre passer, là, de l’autre côté. » Tomas Tranströmer, la Place sauvage, 1983.

Marlène Tissot – Lame de fond

P1080277Un jour, j’ai pas dormi de la nuit,
j’ai relu.

Pour reprendre le premier vers d’une série de poème que Marlène Tissot publie sur son blog. Ma colocataire au sein des éditions la Boucherie littéraire a publié son dernier livre Lame de fond. Un livre de proses que je considère comme un copain de voyage.

Un extrait :
« Je voudrais écrire mieux. T’écrire avec assez de légèreté planquée sous le masque rigide de la syntaxe pour que l’histoire soit tissée d’autre chose que de mots, pour que tu puisses me lire même si tu n’es plus là. Je voudrais t’écrire mieux et ne surtout pas faire de toi un mythe, un monstre, un banal héros de fiction. Écrire comme on souffle sur les braises. »

Les livres de la Boucherie littéraire se trouvent ou se commandent en librairie.

Benoît Jeantet – Et alors tout s’est mis à marcher en crabe

P1080275 Nouvel ouvrage publié aux éditions Le pédalo ivre dont la collection « poésie » joue un rôle de « Pascal le grand frère » pour bon nombre de lecteurs. Aujourd’hui, dingue ! Le recueil de proses Et alors tout s’est mis à marcher en crabe de Benoît Jeantet. Rare que la première page d’un livre me rentre dedans de la sorte :

« Cette gare est une plaine. Une plaine de visages maigres et de rêves qui empestent la vieille pisse. Des rêves tristes et sombres. Des rêves aux amours jaunes. Des rêves assoupis sous la poussière de la ville. La ville est rousse. Rousse et pelée comme une chienne. Une chienne inutile et malade. J’ai aimé cette ville. Si vous saviez comme j’ai aimé m’endormir dans les bras pleins d’histoires de cette ville. J’ai aimé cette gare. Oh, à un point que… Et puis il a fallu que ça arrive ; que ça nous arrive. »

Plus loin :
« Il me semble que les yeux ne suffisent plus, de nos jours, à séduire les filles. Il y a pourtant des tas de saules tortueux, et même des tas de branches lambda qui rêvent encore de remettre les pendus à l’heure. »

Ici :
« L’anxiété, l’alcoolisme, la paranoïa ne sont que des symptômes. Le mal dont souffre ce matin est bien plus profond en vérité. Ce matin voudrait qu’on s’occupe de lui. Qu’on fasse attention à ses frasques d’ado attardé. Voilà encore un matin qui a besoin d’amour. »

Là-bas mais pas tout à fait à la fin :
« C’est durant un face à face assez insoutenable avec un kilo de carottes en colères que je me suis fais cette réflexion. Cette réflexion la voici : je n’ai pas toujours été cet homme de 43 ans avec des tas de rêves roulés en boule – tout chiffonnés  au creux des poches. Et voilà pour cette réflexion. »

C’est un livre qu’on s’offre. Pour le commander c’est ici.

 

François Jullien « Nourrir sa vie »

Picasso me paraît même fournir le meilleur commentaire […] : « Chaque être possède la même somme d’énergie. La personne moyenne gaspille la sienne de mille manières. Moi, je canalise mes forces dans une seule direction : la peinture, et lui sacrifie le reste – vous et tout le monde, moi inclus. » Quiconque a dessein de faire œuvre devrait, je crois, l’inscrire en exergue à sa vie pour résumer son exigence : la condition de cette œuvre est de ne pas « gaspiller » mon souffle-énergie et, pour cela, de me retirer volontairement (ascétiquement) de tous les investissements ordinaires entre lesquels va se dispersant ma vitalité et de les sacrifier – immoralement (« égoïstement »), jugera-t-on du dehors – pour me concentrer sur ce seul objet. Car c’est bien à ce niveau foncier du vital et de son économie, et non, comme on croit, à celui du talent, du génie, de l’inspiration ou, selon l’autre versant, de la patience et du travail (tout cela n’est que conséquence), que l’œuvre trouve sa possibilité effective et commence à se développer sans forçage artificiel, parce que ayant enfin trouvé son fonds propre alimentant généreusement la création.

François Jullien, Nourrir sa vie à l’écart du bonheur, page 80, éditions du Seuil, 2005.

Ashraf Fayad, un extrait de « Instructions, à l’intérieur »

« Nous sommes des comédiens non rétribués
Notre rôle… rester debout, nus comme notre
mère nous a mis au monde. Comme la terre
nous a mis au monde. Comme nous ont enfantés
les bulletins d’informations, les rapports
volumineux, les villages attenant aux colonies de
peuplement et les clés que mon grand-père garde encore.
Pauvre grand-père ! Il ne sait pas que les serrures ont été changées.
Malédiction, ô grand-père, ces portes qui
s’ouvrent avec des cartes magnétiques, ces eaux
de drainage qui passent près de ta tombe.
Malédiction, ce ciel fermé à la pluie.
Qu’à cela ne tienne ! Tes os ne peuvent pas
pousser dans le sable. Le sable est donc de
nouveau la cause de notre sous-développement.
Grand-père ! Je me présenterai à ta place au jour
du Jugement dernier car mes parties intimes ne
sont pas inconnues des caméras.
Sera-t-il permis de filmer le jour du Jugement dernier ? »

Ashraf Fayad, Instructions, à l’intérieur, poèmes traduits de l’arabe par Abdellatif Laâbi, Le Temps des Cerises éditeurs, 2015.

La 4e de couverture :
Né à Gaza en 1980, Ahsraf Fayad est un poète et artiste palestinien qui vit en Arabie Saoudite. Il a d’ailleurs représenté ce pays lors de la Biennale de Venise en 2013.
Des extrémistes religieux l’ayant accusé d’avoir écrit des poèmes athées, il a été condamné à mort, le 17 novembre 2015.
Une campagne internationale s’est engagée en sa faveur. Et le 2 février 2016, la Cour d’appel a décidé de commuer la peine capitale en huit ans de prison et huit cent coups de fouet.
L’action se poursuit pour que soit libéré Ashraf Fayad.

En savoir plus :
– note de lecture de Claude Vercey : I.D. n°628 : Faire du coeur un dieu
– article publié par BibliObs
Ashraf Fayad : 800 coups de fouet pour un poème