Poèmes, textes et notes…

Des gens, faut pas le prendre personnellement

Des gens se rangent dans le désordre.
Derrière des portes certains attendent qu’on les frappe.
Des gens bons font la queue pour de mauvais sandwiches. Ah ah.
Ils rentrent et sortent des boulangeries.
Des gens aux courtes jambes se rattrapent en prenant le bus.
Ils atteignent le QI de la poutre.
Ils se vident dans la ville pleine.
Des gens pleins de vide se remplissent les poches sur le dos des poches.
Des gens au chômage sont cultivés c’est vrai.
Ils s’ennuient à force de commencer des phrases.
Des gens c’est rien, des gens c’est qui, on vote quand déjà ?
Des gens, existent-ils ?
Des gens, c’est à partir de combien ?
Des gens, c’est inexact.
Des gens, faut pas le prendre personnellement.

Ils sont immatriculés et contribuent.
Ils sont assis sur des petites places, à l’ombre d’un tilleul, en fond le coulis de l’eau d’une fontaine.
Ils rient, c’est cool ça rappelle que des gens débranchent.
Des gens débranchent.
Des gens ont une emprise sur d’autres gens et les coulent.
Des gens rient, on le répète.
Des gens ne boivent pas en présence d’autres gens.
Des gens cool, tranquilles, des gens branchés.
Des gens, est-ce une communauté ?
Des gens, je les regarde.
Regarde.
Des gens ne le sont pas.

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E.C. Avril 2021

On enferme les gens dans les portes

On enferme les gens dans les portes.
Les fenêtres prennent la confiance.
La lumière n’a pas ses papiers.

L’isolation, faut les moyens.
L‘isolement est un truc de pauvre.
L’isolement n’est pas une île.

Une île est une matière entourée.
Un ballon est parfois une île.
Deux jeunes dans un square roulent un ballon.

et non loin de là
les travaux qui raclent
assourdissants gravats des mains en mouvement
le geste interrompu – réconfort d’un café d’automne
le périph’ revient sur ses pas
le quartier pousse les grues dépassent
le sol croît le ciel perd
du terrain son mystère
instant gravé
noir et sans sucre.

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E.C.

Le Valhalla des mecs qui se la raclent

Je reviens perdant d’un match de basket.
Les mecs d’en face c’était le tiers état.
Pas des mains, mais des fourches et des envies de couper des têtes.
Moi, pur produit du secteur tertiaire, n’ai pas fait le poids face à ces étagères.
J’ai sucé mes phalanges une dernière fois avant le deuxième quart-temps.
Mes LED dans le torse une à une se sont éteintes
et c’est voûté que je m’insère dans mon trajet retour.

Et fauxa soit une défaite qui me fasse reprendre le carnet. WTF !?

Futile la défaite en temps de paix ! A quoi ça sert ?
« A progresser » me dit la voix mainstream qui colonise mon internet.

Il y a une pièce irrattrapable qui de moi s’est détachée.
Quand, jsais pas.
Elle doit bien
gambader quelque part
au top de sa forme.
C’était la meilleure pièce de mon moteur.
Je repense à elle parfois.
Je voudrais être le meilleur.
Je souris
car je me souviens d’un temps où je rentrais sur le terrain le sourire aux lèvres
avec l’espoir brillant d’en terminer avec la vie
laissant mon corps aux chiens et au numérique
pour que moi pépère-pépère
puisse festoyer tranquille-posé
avec mes artistes préférés
dans le Valhalla des mecs qui se la raclent.

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février 2020.

Burn out

Hypnotisé par le barbecue,
je réponds aux braises par un silence tartare.
Je songe aux tâches à faire avant demain. Soudain,
la-viande-la viande-la-viande me lance-t-elle ça-crame.
Je reconnecte avec moi-même, embué, dans un nuage noir d’urgences immédiates.
Il s’agit dans un premier temps de sauver les chipolatas
pour vite nourrir les enfants qui s’impatientent.
Les merguez n’ont plus rien à dégorger. Elles se tordent de douleurs.
Mon réflexe : verser ma bière dans le feu. Quel trou de balle entends-je derrière moi.
Une goutte a juste le temps de perler sur la pente des ribs de porc
avant de s’évaporer comme la meilleure de mes idées.
La viande n’est toujours pas sauvée.
Pour agir, j’ai besoin de la musique appropriée
afin d’accentuer la tension dramatique du moment.
De la main droite, je saisis mon téléphone, fouille ma playlist,
tout le monde me crie T’es con, occupe-toi de la bouffe,
de l’autre je manipule notre repas avec la spatule.
Putain !
Sur les premières notes de ma chanson
ma poitrine se gonfle
je me sens attirant
et audacieux. Je danse,
la spatule toujours à la main.
Alors que je suis sur le point de retirer du feu les dernières pièces de viande
je renonce finalement au sauvetage.
Je lâche la spatule
– les convives me regardent estomaqués –
et jette mon téléphone par-delà la haie des voisins
qui depuis ce matin nous surveillent derrière leurs stores.
Enfin, je me tourne
lentement
vers la piscine où patauge la belle-fille de Machin.
Sur moi leurs yeux. La musique me porte. Un pas
en arrière, je prends mon élan par les cornes-et-me-précipite-vers-la-piscine-en-courant-et
saute
tout habillé, en riant fort,
en faisant la bombe.

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E.C. juillet 2018

27 alliances en 3 tercets

Se doucher-écran. Payer-retard. Conduire-héritage.
Diner-invention. Tracer-podcast. Se persuader-Bac+5.
S’habiller-violence. Envoyer-frontière. S’isoler-langage.

 

Baiser-sans fil. Sécréter-club de foot. Jouir-centre-ville.
Séquestrer-solidarité. Cauchemarder-pourcentage. Obtempérer-armure.
Stigmatiser-Première Dame. Pirater-fantasme. Terroriser-direction.

 

Compromettre-image. Éjaculer-banlieue. Dénoncer-espèce.
Dévier-popularité. Risquer-famille. Estimer-identité.
S’engager-panneau. Voter-périphérique. Libérer-action.

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E.C. Février 2016 – Juin 2018.

Tercets du jour

un mode de communication impulsif
basé sur le maintien de l’ordre
des molécules et des atomes

 

une parole avant tout
dont le labo est dans la bouche
on lave son attentat en famille

 

un ralentissement avant l’arrêt complet
on prend le temps de prendre
il faut se faire voleur

 

l’acceptation est un petit-déjeuner
on accueille la porte quand ça sonne
le soleil brille mais on s’arme quand même

 

dans la poche est glissé le ton
la compromission n’est pas pour demain
même si dix années passent

 

le dehors enchaîne les bobines
reste la peur de louper une scène
l’ubiquité n’a jamais permis d’être là

 

revenir bredouille est décourageant
la to do list s’allonge à coup de minutes
la spontanéité a toute la vie devant elle

 

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E.C. 08/05/2018