Fast-Food de Grégoire Damon

Aujourd’hui sort en librairie Fast-Food, le nouveau roman de Grégoire Damon dans la collection Qui Vive chez Buchet-Castel, un éditeur « qu’il est bon d’en être » quand on sait le bon nombre de bons écrivains que cette maison a fait connaître. Je partage son bonheur aujourd’hui et m’en vais filer au drive le plus proche pour me prendre un menu.

Derrière les comptoirs de Meecoy, les équipiers vivent au rythme des départs, des arrivées, des disparitions et des micro-révolutions.

Greg astique la friteuse, nourrit le toaster, fait des pauses-clope et observe ses contemporains. Flanqué de Jack le parano, Ed la grande gueule, Croquette le clown et Graf le petit con tatoué, il réussirait presque à déjouer les ruses du nouveau management. Jusqu’à ce que celui-ci dévoile toute sa risible cruauté.

Alors, le grand capital pourrait-il s’abolir dans un happening ? Ou faut-il avoir recours aux deux seules armes qui ont fait leurs preuves : l’humour et la poésie ?

Un roman tendre comme un steak, tranchant comme un sabre de samouraï.

« D’ailleurs on finira par disparaître. Le progrès est en marche. […] Un jour, ils inventeront la restauration rapide sans équipier. Le client arrivera devant un écran, il appuiera sur des touches, la machinerie se mettra en route, et en deux minutes il aura son menu avec supplément mayo. On est la dernière génération. C’est le moment ou jamais de s’amuser un peu. »

Blog de l’auteur : http://gregoiredamon.hautetfort.com/

 

Realpoetik N°6

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Je crois que je viens de franchir le « next step ». Je goutte comme un robinet qui a mal tourné depuis que je sais que je suis publié dans le dernier Realpoetik, n°6 à lire sur http://www.realpoetik.fr/

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Avec en Realpoesi Perrin Langda qui vous raconte la vie de manière exhaustive, Emanuel Campo qui cachetonne comme figurant, puis en Reproduction Mr Heim qui refait Oui-Oui, puis en Masse Critique François-Xavier Farine qui déclare sa flamme au peintre David Hockney et Laurent Bouisset qui refait le Centre International de Poésie de Marseille à coups de rouleau compresseur.

La chose est illustrée par Sara Laè, c’est pour ça que c’est beau.

J’y ai lu entre autres un poème de Perrin Langda que je lui envie. Très fier de figurer dans ce numéro. Merci aux tôliers Sammy Sapin et Grégoire Damon.

Pour une débénabarisation du quotidien #264-280

Suite du feuilleton « Pour une débénabarisation du quotidien ». L’été et la rentrée sont passés par là avec leurs lots de trucs à faire, à penser, à ne pas faire et à oublier.  L’épisode précédent écrit par Grégoire Damon date de juillet et vous pouvez le lire ici.

264) Attendu que la Méditerranée n’en a rien à foutre de nos guerres et qu’elle a d’abord à gérer la montée des eaux ;

265) Attendu que les itinéraires vers les nappes d’eau souterraines ont été bouchés par des permis de construire ; qu’un soir de précipitations t’auras plus de chance d’avoir dans ton salon un rapport franc avec une vague de trois mètres qu’avec un membre de ta famille ;

266) Attendu que selon la dernière étude émise par l’I.U.A.C. (Institut pour Une Anxiété Collective) l’excès de viande rouge et de charcuterie augmenterait l’opportunité de contracter un cancer ;

267) Attendu que la poussée actuelle des populismes en Europe ne répondrait pas uniquement à des raisons économiques ;

268) Attendu que mon cul ;

269) Attendu que mon visage, ma bouche, mon dos et mes poils ;

270) Attendu que, les élections régionales s’approchant, les feuilles des arbres de ma rue jaunissent, meurent et tombent ;

271) Attendu que c’est l’époque des vestes mi-saison ; qu’on ne sait pas s’il fait chaud ou froid, si les corps veulent se dévêtir ou bien suggérer ;

272) Attendu que tout un été nous est passé dessus ;

273) Attendu que le passage à l’heure d’hiver m’affecte bien qu’il me permette de me réveiller avec l’aube ;

274) Attendu que des travaux ont actuellement lieu dans les cavités de mon bâtiment ;

275) Attendu que je constate que vieillir consiste à s’alourdir alors que les poètes me promettaient que j’allais m’alléger en prenant de l’âge ;

276) Attendu que les séries m’emmerdent ; que je ne veux pas me distraire ; que rester collé à un écran autre que celui de mon traitement de texte me fait culpabiliser ;

277) Attendu que mon prétendu talent de gribouilleur ne m’a pas encore prouvé sa loyauté ;

278) Attendu que je n’ai moi-même rien réussi à prouver pour ma défense ;

279) Par ces motifs

280) Le ciel gris de ce soir casse et annule mon impression d’avoir passé une bonne journée et conseille justement de réitérer ce que nous avons fait hier matin durant neuf minutes.

A la préf. du R.

lecture en situation

lire 99 noms d’un seul truc de Grégoire Damon dans la salle d’attente du service dédié aux cartes grises de la Préfecture du Rhône

 

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performance…

« c’est pas une maladie d’être enceinte » a répondu à 9h30 la guichetière excédée à la jeune et jolie femme enceinte de 8 mois et + qui lui demandait naïvement s’il y avait un guichet prioritaire

 « faîtes la queue comme tout le monde »

 

… et poésie visuelle

l’observer faire la queue et lutter, son nombril à l’avant garde

 

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poésie « désagréable » sonore

le bruit des élastiques qui claquent sur les pochettes en plastique, les lettres épelés des noms de familles, les signaux sonores du tableau d’appel, ticket CO64 guichet 58, les raclements de gorge, les talons qui s’impatientent sur le carrelage, deviner le son du zoom de l’objectif des caméras de surveillance, la rumeur du peuple dans la canicule du monde

 

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performance administrative

une heure est passée

« voilà ça arrivera dans dix jours, mais entre nous, vous n’en avez plus vraiment besoin »

Pour une débénabarisation du quotidien #238-249

Yo ! Nouvelle mi-temps de la Ligue des Champions de la poésie routinière featuring Grégoire Damon. Pour ce qui s’est passé dans les vestiaires précédemment c’est ici. Check this out !

238) Et Plouf ?

239) Mais t’as pas peur que cela ne contribue à la pollution des océans ? Parce qu’il doit y avoir des trucs bien dégueulasses dans ce grand sac, non ?

240) Il paraît qu’il existe un continent de déchets quelque part dans le nord-est du Pacifique qui serait 4,88 fois plus grand que le Texas. Le Texas merde. T’imagines si on pouvait marcher dessus ? Sur ce continent en plastique ?

241) (Le Texas est l’unité de mesure inventée par Hollywood et utilisée dans plusieurs films catastrophe. On parle d’astéroïdes deux fois plus grands que le Texas, d’épidémies qui toucheraient la moitié du Texas, de clandestins mexicains qui envahiraient l’équivalent d’un quart de Texas par an. On dit même que le Texas ferait une fois et demi la France – en réalité c’est un petit peu moins. Enfin, le hasard voudrait – je ne demande qu’à vérifier – que l’état américain du Texas mesurerait exactement l’équivalent d’un Texas. D’où le nom de cette unité de mesure. Mais est-ce une véritable vérité générale du monde ?)

242) On pourrait marcher dessus. Gambader. Sauter à cloche pied. Ramper. Stationner tellement il y aurait de déchets à la surface de l’eau. Le « sol » ne serait pas totalement lisse pour y jouer au golf par exemple, mais qu’à cela ne tienne, on n’a qu’à dérouler un tapis synthétique. Il doit bien y en avoir un qui flotte dans le tas. On pourrait pour commencer implanter genre une colonie de bagnards – c’est notre truc ça les colonies – construire un fort afin de protéger nos colons contre les attaques indigènes.

243) Depuis le temps qu’on en parle de ce continent, il devrait bien y avoir deux trois pélos qui y auraient déjà planté leur drapeau en secret. Avant nous. Et qui constitueraient aujourd’hui un peuple d’indigènes. Ils auraient fondé un nouvel état ou bien auraient repris une ancienne nation dormant dans les archives mondiales afin de ne pas s’emmerder à créer un nouveau logo, code couleur ou hymne nationale. Ça se trouve les mecs n’étaient ni graphistes ni compositeurs. Ce sont des postes importants de nos jours dans nos contrées (dans un cabinet ministériel par exemple, il y a des auteurs, des artisans du mythe, des communicants…). Ça se trouve, les mecs étaient des jeunes sans problèmes qui n’auraient trouvé ni emploi ni gloriole, qui n’auraient subi aucun embrigadement extrémiste, patriotique ou associatif. Des usagers moyens de la République animés par un besoin de création. Ils auraient, comme les corses, implanté leurs villages dans les « terres » de ce continent-radeau afin de ne pas être remarqué par les bateaux naviguant au large. Ils auraient bâti à partir de coques de portables, de bouteilles plastiques et de sachets mâchés par les tortues. Construit des routes en emboîtant des petits jouets usagers les uns dans les autres. Créé une nouvelle littérature à partir des constellations visibles à cet endroit du globe. Leur premier livre classique s’intitulerait Les Trois câbles et commencerait ainsi :

« Jadis si je me souviens bien, ma vie était un festin » CRIC CRAC BANG BANG ! Tirons dans le tas, nous n’en voulons plus. Fini herbe verte et plateformes de partage, flux au débit insuffisant et goudron de vos villes, transparence fiscale et sangles de vélo, nous partons flotter ailleurs et bâtir sur nos merdes sous le regard approbateur de la constellation du tuyau.

244) Cette littérature du schisme, ajoutée à d’autres raisons bien plus dangereuses pour nos colons forceraient ces derniers à s’entourer d’un solide mur d’enceinte. Un type de chez nous répandra sûrement l’idée qu’il faut se méfier des systèmes autonomes. And the rest is History…

245) (Le problème avec ce continent flottant c’est qu’on ne pourrait pas y creuser de métro. Du coup, pour nos transvasements quotidiens et pour que nos enfants se prennent pour des conducteurs, c’est mort.)

246) Alors tout à fait autrement : un jour, tu prendras tous les présents de vérité générale du monde, et les tiens en premier. Tu les mettras dans un grand sac. Et tu prendras un bateau. Oui. Un jour. Un bateau.

247) Et après ? Dériver jusqu’à ne plus avoir pied, là où les côtes sont trop loin pour revenir vivant d’une baignade ? Paraît que la lumière y est telle qu’elle empêche les caméras d’informer. Ouvrir le sac et y glisser le bras.

248) Le bois se gonfle dans l’eau, les trains passent, la noix de coco tombe, un enfant cache son doudou dans le meuble à chaussures, la goutte coule du nez, le shaman part acheter le pain tout en restant sur place, un sac jeté du bateau, le vent du large, la danse des canards, la file devant le forum réfugié de la rue Garibaldi, les algorithmes de Wall Street. Mouvement. Garant de nos rotules chantantes. Courants océaniques et conscience des objets.

249) Quand je pense qu’une génération entière attend la révolution. Y songe pendant les RTT, les vacances, sur la chaîne de montage, en réunion de prod’, pendant les balances, en lamant ses baguettes de pain, au volant de son camion, en rédigeant son mémoire ou sa note de synthèse, en baignant son gone. Le méchant revers du gauche qu’elle va se prendre quand elle verra que la révolution qui arrivera n’est ni la sienne, ni celle qu’elle attendait. Il se prépare des trucs ailleurs, sans nous les gars. Nos vérités ne sont pas indispensables à tous. On est entre nous. Bien que ça s’effrite depuis un petit moment déjà, ça tient encore – fébrilement. Mais putain leur regard quand la vague sortira du siphon même de leur bac de douche…

Pour une débénabarisation du quotidien #220-226

Nouvel épisode de « Pour une débénabarisation du quotidien » le feuilleton puéri-tracté écrit à deux pères, Grégoire Damon et moi-même. Pour nous remettre dans le bain, relisons l’épisode précédent ici.

220) Là-bas, des types rentrent écrasés par leur journée, mais rentrent vivants. Le jour d’après, sortent des décombres ces mêmes types écrasés en un instant, mais morts. On sort des types des gravas. On rentre des civières dans les ambulances. Les bâtiments tombent du ciel. Il pleut des poutres.

221) Ici. Rentrer du travail. Sortir de chez soi. Rentrer accompagné. Sortir avec elle. Rentrer dans sa robe. Sortir de ses gonds. Rentrer en formation. Sortir diplômé. Rentrer tôt. Sortir tard. Rentrer dans sa femme. Sortir le bébé. Sortir le chien. Rentrer avant la pluie. Rentrer dans le magasin. Entrez c’est ouvert. Sortez de là. Sortir en force. Rentrer dans la police. Sortir relaxé. Sortir de la Ligue 2. Rentrer dans l’ascenseur. Rentrer dans le tas. Sortir de l’Europe.

222) Ils nous voient mettre la vaisselle dans l’évier, la sortir, puis la ranger dans les placards. Ils nous voient. Ils nous voient mettre notre linge sale dans la machine, le sortir, le plier, puis ranger nos vêtements dans la commode. Ils nous voient. Ils nous voient sortir de la poche le billet de cinq euros puis y remettre la monnaie et le ticket de caisse. Ils nous voient. Ils nous voient le jour glisser l’enveloppe à la Poste et le soir chercher le courrier dans la boîte aux lettres. Ils nous voient. Ils nous voient agiter fièrement nos passeports avant de monter dans l’avion qui nous déversera chez d’autres en touristes sans gêne. Ils nous voient. Ils nous surprendront peut-être un soir dans la chambre parentale sortir des objets des tiroirs et nous les enfoncer dans le corps ou bien découper les membres de certaines personnes de notre famille avant de les emballer dans des sacs de 30 ou 50 litres puis les jeter dans les grands bacs du local à poubelles. Ils nous surprendront mais ils sortiront discrètement la tête de l’embrasure de la porte et garderont silencieusement ce qu’ils viendront de voir. À l’intérieur.

223) On passe nos journées à nous rentrer puis à nous sortir. À rentrer des trucs dans d’autres trucs. À sortir de ces mêmes trucs, d’autres trucs. Véritables poupées russes. Aux accents qui raclent. Aux jambes qui traînent. Aux mains vivantes qui agrippent. Aux mortes qui ne lâcheront pas. On y pense. Y pense.

224) Je parle d’une des premières actions, d’un geste primitif, appelle ça comme tu veux. Une première action, celle de Papa dans Maman, celle de l’accouchement. Une qui suit un premier lancé. Je parle d’une des premières préméditations, du premier transport, décris ça comme tu veux, je parle d’une des actions les plus répandues :

225) le transvasement.

226) Mes fils sont en plein dedans. Ils nous voient. Et nous imitent. Les gnocchis se font une joie de passer des objets d’un contenant à un autre. Ils ne cherchent plus la collision, mais le passage d’un corps dans un autre. Avec classe et naïveté, ils expérimentent le pouvoir décisionnel et améliore leur motricité fine. Et ils répètent le geste, et ils répètent le geste, et le répètent. Pendant ce temps, le corps le mémorise et les prépare à ce qui suit.

Pour une débénabarisation du quotidien #201-208

Suite du ramonage poético-feuilletonné écrit en correspondance avec Grégoire Damon à suivre sur nos blogs respectifs. D’ailleurs, l’épisode précédent c’est sur le sien.

201) La génitrice a refait l’appart’. Nouvelle disposition des meubles. Dans la cuisine et la chambre. Pour limiter la marinade et créer de nouveaux gestes. De nouveaux déplacements dans l’appart. Histoire de se rallumer. J’suis rentré après 2 jours passés à être ailleurs. Loin du un jour plus un jour plus un jour habituel.

202) D’ailleurs, c’est assez flippant d’habiter le quotidien quand on n’est que de passage. On s’investit différemment sur le tapis roulant d’une correspondance que sur le tapis de jeu des gnocchis. La démarche n’est pas la même. La manière de saluer non plus. On repart anormalement plus triste après un adieu, qu’après un « à ce soir » lancé à sa conjointe ou conjoint. Ça ne devrait pas.

203) On devrait à chaque seconde pleurer les ancres comme les paquebots le font au Cap Horn.

204) Prévoir VRAIMENT une journée ? Il y a des gestes et des flux. Mais ce qu’on sait de la matière qui tient tout ça… L’autre jour à travers ma fenêtre j’ai cligné de l’œil, une mouette est passée. J’ai bu une gorgée de thé, j’ai entendu un klaxon. Je me grattais l’épaule quand un cycliste freinait. Un nuage passe et je m’assois.

205) L’effet parenthèse des voyages ponctuels réveille souvent le lyrisme gluant des quais de gares. Puis on revient avec des fausses prophéties dans les baskets ou de la philosophie recyclée.

206) « Partir ne prend du sens que si on est centré » ai-je entendu déborder de l’écouteur du type collé à moi à l’heure de pointe. Woua, c’que tu m’en apprends des choses.

207) Puis rentrer donc. Dans l’appart’ neuf du chez soi. Vitalisant. Tant de nouvelles habitudes à inventer. De régimes à imposer. Et ce n’est pas si simple. Y’a comme des méandres devant. J’ai toujours préféré suivre du doigt les fleuves sur les cartes plutôt que tracer un trait entre deux côtes.

208) Un matin, l’engouement populiste de la nouveauté s’est vaporisé par la VMC. Les gestes, eux, sont toujours là. Mais on ne les habite plus. Ils sont trop forts. Et nous fragiles. L’équilibre est rompu. Alors on déplace les meubles. Ou bien on remplace la machine à expresso par une cafetière à l’italienne.